Eerbetoon aan Renaat

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Hommage à Renaat Van Craenenbroeck

Par Trevor Stone
Traduction par Jean-Marie Byache

Le soir du vendredi 6 juillet, je recevais un appel de Croatie m’apprenant l’effroyable nouvelle du décès de Renaat Van Caenenbroeck. Trois mois après, je m’attache à la pénible tâche de rédiger la nécrologie de cet homme remarquable.

J’ai rencontré Renaat pour la première fois il y a vingt ans alors que son groupe, Lange Wapper, assistait à un week-end, consacré aux danses d’épées, que j’organisais à Malton, en 1981. À l’occasion d’un atelier du festival folk de Sidmouth, j’avais entendu parler d’un groupe flamand de danseurs d’épées anversois. La nouvelle venait de Roland Higson, musicien de Horwich Morris Men, un groupe du nord-ouest qui avait des contacts réguliers avec Lange Wapper. Cela était d’autant plus surprenant que j’étais convaincu de la disparition des danses d’épées sur le continent ; je les pensais seules survivantes en Angleterre. Renaat et Lange Wapper m’ont ouvert les yeux sur tout un monde de danseurs hors de Grande-Bretagne, mais, plus important, notre rencontre fut le point de départ d’une amitié qui n’est pas près de s’éteindre dans ma mémoire.

Renaat et moi avons voyagé pour assister à des danses d’épées sous des horizons divers : îles Shetland, Allemagne, Tchécoslovaquie… J’ai accompagné le groupe en Espagne, en Italie, et Renaat a rendu de nombreuses visites en Angleterre, à Noël ou au Nouvel an, à l’occasion de la sortie de groupes renommés tels que Flamborough, Grenoside, Goathland ou Handsworth, pour certains plus d’une fois . J’effectuais souvent la traversée pour séjourner chez lui lors de la sortie annuelle de Lange Wapper, à la mi-carême. À ces multiples occasions, j’ai appris à connaître les membres du groupe ainsi que la famille de Renaat.

Pour être né et avoir grandi à Anvers, il témoigne d’un très fort dévouement à ce territoire flamandophone. Il était le fils unique d’un tailleur. Sa famille connut les rationnements et les privations durant la dernière guerre mondiale. Son éducation l’a conduit vers une carrière commerciale et ses projets furent grandement facilités par son talent à maîtriser les langues étrangères. Durant quelques années, il fut aussi guide officiel de la ville d’Anvers et il s’attela à cette tâche avec la même énergie et passion que pour tous ses autres points d’intérêt.

Les premières années, alors qu’il formait son groupe, Renaat considérait les associations populaires flamandes comme réactionnaires - à tel point que lui et Lange Wapper attirèrent beaucoup de critiques sur leur approche de la danse. Puis, comme souvent, l’opposition s’atténua graduellement et la méthode propre à Renaat pour traduire la danse fut acceptée et même souvent copiée. Lange Wapper garda néanmoins la réputation d’un groupe “ difficile ”, du fait de son exigence de niveau.
Durant cette période, Renaat était très occupé par ses recherches sur l’histoire des danses flamandes du Brabant. En 1970 il estima avoir amassé suffisamment d’informations pour recréer une danse d’épées flamande.

Avec sa famille, il prenait souvent des vacances en Angleterre, en dépit de ses doléances répétées envers le pauvre niveau culinaire britannique de l’époque, et Lange Wapper effectua son premier déplacement outre-Manche en 1968, à Birmingham. En 1972 le groupe refit le voyage vers Llangolen.

Je me rendais compte, avant de démarrer ce travail, à quel point Renaat était un personnage à multiples facettes et j’aimerais que ces lignes servent à assurer le lecteur du large éventail de ses activités. Beaucoup de danseurs d’épées anglais, par exemple, le connaissent pour sa présence et son engagement dans l’organisation des rassemblements internationaux de 1996, 1998 et 2000, à Scarborough puis à Witby. En fait l’idée vient de lui : il espérait organiser un tel événement en 1989 pour commémorer le 600ème anniversaire de la première mention écrite de danse d’épées qu’il avait découverte dans les archives de la ville de Bruges. Le manque d’argent l’empêcha de mener à bien son projet mais il se révéla un supporter enthousiaste lorsque l’idée fut reprise par un groupe anglais en 1996.

Combien de ses contacts britanniques connaissent son travail de recherche dans son propre pays et en Europe ? (il fut décrit par Steve Corrsin comme “ … le leader faisant autorité en Belgique et tout simplement la plus importante figure du réseau continental de danseurs d’épées.”) Tant il avait noué de contacts avec les danseurs et les chercheurs de tous pays. Renaat était d’ailleurs un utilisateur invétéré du téléphone – je pourrais presque régler mon horloge sur ses appels hebdomadaires du week-end, toujours chargés de quelque intérêt à communiquer.

Beaucoup encore n’ont pas la chance d’avoir connu le respecté (et très accaparé) professeur de danse, réclamé en Belgique comme en France par autant de groupes soucieux de parfaire leur pratique. Sa série de vidéos consacrées aux valses, mazurkas, scottishs et polkas demeure une référence idéale pour les danseurs.

Il est difficile pour moi de séparer Renaat de Lange Wapper : il était, redisons-le, un des fondateurs du groupe initial de danses de société puis, dix ans plus tard, encouragea à la création d’une danse d’épées qu’il composa en usant des références de danses flamandes et en puisant dans sa connaissance étendue des danses d’épées en chaîne d’autres régions du continent. Cependant, bien d’autres de ses activités n’impliquaient pas le groupe. Je pense à cette époque où nous voyagions tous deux pour voir les groupes (comme les danseurs d’épées de Papa Stour) sur leur propre terrain d’évolution. Beaucoup d’entre eux étaient malheureusement prisonniers de leur isolement.

Il y a quelques années, Renaat s’est marié pour la seconde fois et s’est établi dans le sud de la Belgique, en Ardennes, où résidait sa nouvelle épouse Marie-Christine (surnommée Puce). Mais il accomplissait régulièrement un trajet de plus de deux cents kilomètres pour être présent aux répétitions hebdomadaires de Lange Wapper.

Depuis sa retraite professionnelle, voici quelques années, il s’était forgé une réputation internationale en faisant des communications lors de conférences, telles qu’à l’occasion du rassemblement de Witby ou bien encore du conseil de musique traditionnelle (ICTM) à Korcula , en Croatie, en juillet 2000. Ses interventions résumaient sa connaissance étendue de l’histoire de la danse et révélaient son thème favori qui était de présenter ses idées et expériences de recréation de la danse d’épées. Beaucoup de ces occasions conduisirent à des contacts nouveaux qu’il partageait, généreux comme jamais, avec de vieux amis chercheurs. Ainsi lors de son déplacement au symposium de Korcula, il fit connaissance avec un homologue espagnol qui lui promit de transmettre des informations sur les danses d’épées en Andalousie et ailleurs en Espagne. C’était suffisant pour Renaat – il échafaudait aussitôt des projets de voyages avec moi pour visiter ces contrées dès que possible. Ses efforts ne se limitaient pas au collectage des danses, ainsi devait-il rencontrer John Forest, plus tard dans la soirée de son décès, afin de parler des mentions historiques flamandes de Morris dances.

Avec Mark Van Orshoven, bouffon de Lange Wapper et expert en informatique, Renaat produisait une publication régulière, “ t’zweertdanserke ”, qui sert à la fois de lettre d’information du groupe et de moyen de communication de certaines de ses découvertes relatives aux danses d’épées. Nous échangions nos publications l’un et l’autre (nos vidéos et nos photos) dans l’espoir de rendre notre travail accessible à de futurs chercheurs.

Il n’est pas surprenant que la mort d’une telle figure de la danse attire de larges commentaires. Je suis certain que la famille et les amis de Renaat se rendront compte de l’immense sentiment de perte que je partage avec eux. Je pense qu’il peut être de quelque secours de faire état de tous ces messages reçus d’Angleterre, d’Amérique, du Continent, de la part de groupes ou d’individus qui m’ont contacté. En voici quelques-uns.

John Forest (auteur de “ The history of Morris Dancing ”) était en Croatie, témoin de la mort de Renaat; il écrit:

Cher Trevor,

Je suppose que tu préfèreras peut être apprendre cette triste nouvelle de ma part plutôt que d’une source plus anonyme. Renaat Van Craenenbroeck, le leader de Lange Wapper, que tu connais, est décédé en dansant, ce vendredi soir au village de Vela Luka sur l’île de Korcula. Lange Wapper était invité du festival de danses d’épées de Korcula. J’étais présent au symposium organisé par Elsie Dunin.

Nous étions à Vela Luka pour assister à une suite de danses avec la nouvelle danse d’épées de la Kumpanija qui venait de renaître. Lange Wapper se produisait sur la place pour ouvrir le spectacle et venait juste de débuter une danse comique de paysans dont Renaat conduisait la chaîne des hommes autour du groupe des femmes. Soudain (et sans aucun signe d’alerte) il tomba au sol. Nous avons d’abord cru à un jeu de “ mort et résurrection ”, jusqu’à ce que les danseurs s’attroupent et appellent un “ docteur, docteur !.. ” Très vite il devint clair que quelque chose tournait mal. Plusieurs médecins étaient dans le public et d’autres (dont j’étais) formés aux premiers secours. En dépit des efforts de tous, il n’y eut rien à faire.

Le monde de la danse a perdu une figure phare. Cependant je rends grâce au ciel de ce que Renaat soit mort en pratiquant ce qu’il aimait le plus au monde. Au moment de mourir son visage était illuminé d’un large sourire et je suis convaincu qu’il est tombé instantanément, sans souffrir.

J’espère te rencontrer bientôt dans des circonstances plus heureuses.

 

 

Steve Corrsin (auteur de “ Sword Dancing in Europe : A history ”) écrit:

“Jamais autant qu’aujourd’hui je ne me suis senti aussi isolé du monde des danseurs d’épées britanniques et européens. Si peu de danseurs américains ou canadiens ont eu l’occasion d’effectuer la traversée vers l’Angleterre, et quasiment aucun vers le continent. Je me souviens qu’en 1996 au festival de Scarborough, lors du dernier Ceilidh, lorsque Renaat et Lange Wapper dansaient, j’ai pratiquement agrippé Sarah Henry (du groupe new-yorkais “ Half moon sword ”) je lui ai dit d’oublier tout le reste et de leur prêter toute son attention.

Je me promettais d’aller à Anvers l’année suivante, ainsi qu’à Korcula… pensant que Renaat en ferait partie. Si lange Wapper continue sa sortie de la mi-carême, l’an prochain j’y serai aussi. Trop tard mais ce sera déjà ça. Ce fut un réconfort de savoir que John Forest était présent à Korcula.

Renaat m’envoyait encore de temps en temps des corrections à mon livre et réclamait aussi que je retrouve l’une ou l’autre publication américaine. Voilà tout cela soudain terminé. Tu te souviens que nous avions chacun nos arguments lui et moi, pas toujours raisonnables, et je doute que nous en ayons réellement compris plus l’un sur l’autre. Je me demande s’il connaissait bien quelqu’autre yankee que ce soit ? Mais il était si merveilleusement hospitalier, généreux à partager son travail personnel avec moi et ses danses ont un fantastique…En américain j’appellerais ça parader, mais ce n’est pas réellement cela ; plutôt réelles sûreté et maîtrise. Quant à ses investigations dans les archives médiévales, dans mon livre je décris ses brefs articles comme des modèles de précision et de détail.

J’effectue en ce moment des recherches sur les écrivains et les étudiants des années 1920-30. Ce n’était pas une époque très généreuse. Des hommes comme Richard Wolfram ou Rolf Gardiner ne partageaient rien sinon leurs visions monstrueusement égocentriques. Les relations internationales très limitées entre danseurs à cette époque n’ont rien de comparable avec les contacts que Renaat a tant contribué à nouer de nos jours. Il connaissait chacun des danseurs d’épées qui méritait d’être connu sur le continent. Et il a promu la danse de toutes les façons possibles, de Belgique en Italie, France, Allemagne, Croatie, République Tchèque, Slovaquie, Angleterre. Un européen au meilleur sens du terme.

 

Plus tard, un message m’est parvenu du professeur Elsie Dunin, responsable du symposium du groupe d’étude d’ethnochorégraphie du conseil international de musique traditionnelle (ICTM) qui s’est tenu en juillet 2000, et notre guide lorsque Renaat et moi avons visité le carnaval de Lastovo en février de cette année.

Renaat Van Craenenbroeck avait participé en 2000 au symposium de Korcula et y était retourné en 2001 avec Lange Wapper, son groupe, dont il traitait dans sa communication au symposium. Ils participaient cette année (2001) à l’ouverture du cinquième festival de danses d’épées. Lequel se déroulait en même temps qu’un mini-symposium intitulé “ Moreska : passé et présent ”.

Le vendredi 6 juillet, nous avions tous voyagé vers Vela Luka (à l’extrême ouest de l’île de Korcula), où Lange Wapper devait se produire avec deux autres groupes (Vela Luka’s new Kumpanija et Tatarata sword dance group de Casteltermini en Sicile) sur la place devant la principale église de la ville. C’est là que nous fûmes témoins de la mort de Renaat. Le programme avait commencé normalement. Pour la troisième danse, Renaat conduisait les hommes dans une comique chaîne de carnaval. Le public riait. Arrivé au milieu de la place dallée, Renaat s’écroula. Nous fûmes plusieurs à penser à un jeu de “ mort et résurrection ”. Mais la confusion régna vite entre les danseurs et l’un d’eux appela un docteur (exactement comme dans ce genre de “ jeux ”). Alors un vrai médecin, présent parmi le public, apparut et nous réalisâmes qu’il ne s’agissait pas d’un jeu dont Renaat bondirait en renaissant. Nous commençâmes à nous persuader qu’il ne renaîtrait qu’en esprit.

Le dimanche précédent le départ de Lange Wapper une prestation en souvenir de Renaat a été donnée par le groupe (avec beaucoup de larmes) dans la ville de Korcula, sur la place près de la mer, en présence d’une délégation en costume des six compagnies et groupes de Moreska de l’île. De sorte que les danseurs de l’île tout entière témoignaient de leur respect et de leur sympathie envers un autre groupe et son leader disparu.

Mais peut-être le mot de la fin doit-il revenir à Marc Hanssens, danseur de longue date et président actuel de Lange Wapper :

Trevor,

Pour être franc, le souvenir de Renaat ne m’a pas quitté depuis ce 6 juillet à Vela Luka. Quoi que je fasse, pense ou vive… il est toujours là. Je n’avais jamais réalisé à quel point un destin humain peut avoir d’impact sur la vie d’un autre. Nous avions nos différences et discutions parfois de la façon de procéder pour Lange Wapper. Il avait ses idées, moi les miennes. Maintenant je dois continuer avec les miennes, essayant chaque fois d’imaginer ce qu’aurait pu être son point de vue. Parfois cela fonctionne, parfois non.

Comme bien d’autres choses, la danse évolue. Je ne serais jamais un Renaat – je ne peux être lui. Mais ensemble avec les autres membres du Dansgroep Lange Wapper nous poursuivrons ce qu’il a établi. Les choses peuvent changer et évoluer avec le temps, mais nous maintiendrons la tradition vivante, gardant à l’esprit qu’elle ne peut être gardée en sommeil.

 

 

Je suis sûr que les lecteurs qui connaissaient Renaat se joindront à moi pour souhaiter le meilleur succès et longévité à Marc et au Dansgroep Lange Wapper.

L’engagement et l’enthousiasme de Renaat manqueront longtemps au groupe et au monde de la danse populaire. Et, plus que tout, son amitié.

Trevor Stone, septembre 2001

Issue 3, Series 10, Autumn 2001

Published by Trevor Stone, The Old Vicarage, Downe Street,
Driffield, East Yorkshire YO25 6DX
phone 01377 253 431 e-mail: trevor@jtstone.karoo.co.uk

 

 

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